La vie professionnelle des seniors
par Véronique Izambard
Abordons aujourd’hui un sujet mis fortement en lumière par l’actualité de la réforme sur les retraites : la situation des salariés « seniors », leur accès à la formation et la pertinence de celle-ci les concernant. Je vous propose un article de fond qui reprend et analyse les points essentiels des dernières études sur la question, notamment du CEREQ et de la DARES, et conclut avec quelques questions.
Les fins de carrière sont rarement perçues comme des périodes d’épanouissement professionnel par les intéressés, ou comme une chance pour l’économie par les entreprises, du moins en France, car nous avons de nombreux exemples de pays européens où les salariés seniors voient leur expérience valorisée et leur accès à la formation privilégié (Finlande, Danemark, Suède, etc.).
En France, le taux d’accès des salariés seniors à la formation est significativement plus bas que celui de leurs cadets, les femmes étant les plus touchées. En moyenne, dans les pays de l’Union européenne, 44 % des salariés âgés de 25 à 64 ans ont suivi une formation professionnelle. Le taux de participation à une formation professionnelle varie de moins de 15 % en Grèce à plus de 60 % aux Pays-Bas, en Norvège, en Finlande et au Luxembourg. La France, avec un taux de 51 %, se situe à un niveau correct juste derrière l’Allemagne (53 %) lorsqu’on généralise l’âge auquel la formation a eu lieu.
Ce taux diminue fortement lorsqu’on isole les salariés seniors, du moins ceux qui sont encore en poste en entreprise, puisque 61% d’entre eux sont hors des entreprises dès 60 ans. En France, 72% des seniors en poste ne suivent pas de formation.
Plus nombreux que les générations précédentes et comptant davantage de femmes dans leurs rangs, les salariés seniors, pourtant ont un moindre accès à la formation. Concernant les formations « management » que je mets en place, je peux témoigner qu’ils sont peu nombreux. Lorsqu’ils sont inscrits, ils invoquent régulièrement le fait de ne pas avoir choisi cette formation, et de ne pas en avoir besoin, alors que la majorité ont accédé à une fonction de manager sans formation. En revanche, au cours de la formation, ils font souvent office de référent et finalement, admettent avoir appris quelque chose. Pour autant, ils disent aussi ne pas avoir de temps pour la formation. L’appréciation des motifs est donc délicate. Elle appelle une approche pluridisciplinaire ambitieuse qui permette de prendre en considération des facteurs psychologiques, sociologiques, économiques, etc. Cette approche reste à faire.
Pour autant, j’ai remarqué un certain nombre de constantes : sur le plan personnel, des préjugés concernant leurs capacités à apprendre à leur âge ; manque d’information, doutes quant aux conséquences concrètes en termes de promotion ou de revalorisation salariale d’une formation en fin de carrière, moindre investissement professionnel, horizon professionnel resserré, réticence des employeurs à leur proposer une formation, notamment dans les PME. La question du retour sur investissement est posée implicitement par les entreprises qui estiment souvent, à tort, que le salarié senior ne peut plus apporter à l’entreprise en termes de compétences ou de savoir-faire actualisés.
De surcroît, il faut également aborder la question de la catégorie socioprofessionnelle. En effet, à l’intérieur de chaque tranche d’âge, les moins qualifiés qui accèdent à la formation suivent un nombre de formations moins important que les plus qualifiés. Cette différence vient jouer dès le début de la vie active. Appartenir à la catégorie « cadre » ou « profession intermédiaire », posséder un niveau de diplôme élevé, ou travailler dans une grande entreprise ou dans le secteur public, augmente les chances de bénéficier d’une formation professionnelle. En revanche, être une femme ou travailler à temps partiel joue défavorablement.
Enfin, le taux d’accès des salariés à la formation professionnelle varie aussi fortement selon le secteur d’activité.
Il est particulièrement élevé dans des secteurs tels que l’information communication (62 %) et les activités financières et d’assurance (69 %). Dans ces secteurs, 60 % des salariés seniors ont suivi une formation, soit 12 points de moins que les plus jeunes. À l’inverse, c’est dans les secteurs du commerce, de l’action sociale et de la construction, où la rotation de la main-d’œuvre est importante et la précarité des emplois élevée, que les taux d’accès à la formation sont les plus faibles (moins de 30 %) pour les employés et les ouvriers de 50 ans et plus.
Bien sûr, l’effort de formation vis-à-vis des plus de 50 ans est lié aux politiques de ressources humaines de chaque entreprise. Les pratiques de management intègrent à des degrés divers l’information des salariés ainsi que le recueil des besoins de formation, par le biais notamment de l’entretien professionnel. Les outils sont là, reste à savoir de quelle manière les salariés seniors peuvent s’en emparer et s’engager dans le processus de formation.
Une constatation importante : l’intensité et la rapidité des changements technologiques et organisationnels tend à accroître le rythme d’obsolescence des compétences et demande une capacité accrue d’adaptation des salariés en général, et des seniors en particulier.
Le recours à la formation augmente avec de tels changements et la formation apparait comme « un des facteurs clés pour favoriser le travail des salariés âgés », selon la « stratégie de Lisbonne » lancée par le Conseil européen en mars 2000, suivie par la stratégie Europe 2020 adoptée en 2010 et devient un enjeu majeur de l’économie de la connaissance au sein de l’Union européenne. A juste titre car, même si la formation ne saurait être envisagée comme la panacée aux problèmes d’emploi des seniors, plusieurs travaux et expériences nationales permettent d’accréditer l’idée que la formation, si elle ne peut le garantir, contribue, pour le moins, à leur maintien en emploi. L’exemple des pays d’Europe de Nord est parlant. Au Danemark et en Finlande, où le taux de participation des seniors à la formation atteignait 70 % au milieu des années 2000, la situation des seniors au regard de l’emploi était nettement plus favorable que dans les pays d’Europe continentale où ce même taux n’excédait pas les 30 %.
La formation est certes mise en avant comme un moyen à développer pour enrayer la dégradation des situations des seniors à l’égard de l’emploi. Or, d’enquête en enquête, le même constat s’impose : les seniors se forment moins que leurs cadets. La formation pour soutenir l’emploi des seniors s’avère être une réalité encore loin des ambitions politiques.
Deux axes de réflexion me semblent pertinents :
– Mettre en place une culture de la formation tout au long de la vie, ce qui dépasse largement la problématique des seniors.
– Réfléchir à des objectifs spécifiques pour les formations des seniors.
Mettre en place une culture de la formation tout au long de la vie n’est pas évident en France. C’est révélateur du modèle social français très déterministe qui fait la part belle au niveau de qualification et de formation initiale, qui serait le passeport pour un accès à une profession pour la vie. Même si ce postulat tend à disparaître, il n’en reste pas moins que la formation peine à devenir un réflexe pour les salariés. Du côté des entreprises, le concept d’organisation apprenante fait petit à petit son chemin, et les entreprises développement peu à peu et avec des moyens variables une conception de développement continu de leurs membres, de leurs capacités et compétences ou de créer leur propre avenir.
Comme le souligne France Stratégie, « la performance des entreprises passera aussi par des organisations du travail flexibles capables d’optimiser rapidement la gestion des savoirs et des connaissances tout en développant les capacités d’apprentissage en continu ».
Une impulsion significative de l’importance à accorder au caractère formateur du travail et à des formes d’organisation du travail apprenantes est sans doute la voie à considérer pour des entreprises risquant de revoir rapidement à la baisse les budgets alloués à la formation ; que ce soit via le plan de formation ou via le CPF, les budgets de formation diminuent comme peau de chagrin.
La conjonction du contexte économique et du cadre législatif incitera-t-elle les entreprises à diversifier les modes de développement des compétences dans les prochaines années, et notamment pour la population des seniors ?
Car les salariés seniors sont tout particulièrement concernés par cette idée de développement continu, comme moyen de consolider leur situation professionnelle, et un effort préalable doit alors être fourni pour qu’ils envisagent la formation comme un moyen possible de faire face aux difficultés d’emploi auxquelles ils se heurtent, ou se heurteront. Cependant, les modalités de formation mériteraient d’être mieux adaptée aux profils et aux besoins des seniors en prenant davantage en considération leur expérience par exemple. Ainsi, les formes d’apprentissage intégré au travail « work-integrated learning » pourraient s’avérer plus efficaces et intéressantes pour eux. Les exemples des pays d’Europe du Nord tendent sont à ce titre intéressants, en ceci qu’ils prennent en compte le fait qu’on se construit toujours dans l’interaction avec les autres et que, dans cette perspective, le seniors ont beaucoup à apporter. De la même manière, la question de la disparition de savoir-faire significatifs pourrait se régler grâce à des dispositifs spécifiques à la transmission de savoirs et dédiés aux seniors.
Il est patent que l’allongement de la vie active et les problématiques engendrées par la transition numérique appellent tout à la fois une actualisation des compétences et l’ouverture de mobilités professionnelles pour stimuler l’activité au-delà de 50 ans. La question de l’emploi des seniors se pose avec une acuité de plus en plus aiguë. Le recul de l’âge légal de la retraite, assorti d’une augmentation de la durée de cotisation requise pour bénéficier d’une retraite à taux plein, entraîne le maintien sur le marché du travail à des âges plus avancés qu’auparavant.
En France, en matière de formation, le taux d’accès la formation des seniors est significativement inférieur à celui des salariés des autres générations. L’expérience accumulée au fil des années et la réduction des perspectives de carrière réduisent dans une certaine mesure l’intérêt des seniors pour les projets de développement de leur carrière par la formation.
Une manière entièrement nouvelle d’aborder leur emploi s’impose donc, qui prenne en compte les évolutions des métiers et dépasse les débats sur l’âge de la retraite. Une insertion professionnelle correcte, valorisante et productive des seniors ne peut s’obtenir qu’au moyen d’une politique globale qui inclut une qualification tout au long de la vie, une adaptation de l’environnement et du temps de travail à leurs besoins et des modalités de formation adaptées. Une réflexion est à mener.