Langue des Signes Française : état des lieux, curiosités et perspectives d'une très belle langue en expansion.
Interview avec Stéphanie Drouet, formatrice en LSF pour Évolution Carrière
Depuis combien de temps êtes-vous formatrice en Langue des Signes Française (LSF) ?
Je suis formatrice en LSF depuis les années 2000 et toujours aussi passionnée après plus de 20 ans d’accompagnements très variés à l’apprentissage de cette très belle langue !
Comment et pourquoi vous êtes-vous rapprochée de la LSF ?
Ce qui a réellement changé ma vie c’est la lecture du livre “Le cri de la mouette” d’Emmanuelle Laborit, figure emblématique dans le monde des sourds, sourde elle-même de naissance et qui dans ce roman autobiographique nous raconte son histoire, ses combats et ses très belles victoires dans la vie en tant que personne née sourde profonde dans une famille d’entendants, absolument pas préparés à accueillir un enfant “différent” et qui va, malgré des premières années de vie difficiles et grâce à l’amour de ses proches, réussir à trouver un bel équilibre, un sens profond à sa vie et devenir directrice d’un lieu incontournable dans le monde des sourds à Paris : l’IVT (International Visual Theater) !
Peu de temps après la lecture de ce livre qui a été pour moi comme une révélation je prenais mes premiers cours pour très rapidement m’immerger aussi souvent que possible dans ce monde fascinant et humainement si riche !
L’apprentissage de la Langue des Signes Française attire beaucoup de personnes qui ne sont pas sourdes ou malentendantes. Quel est le profil type d’un apprenant en LSF entendant ? Quelles sont les raisons qui le poussent à se former ?
Il existe plusieurs profils d’apprenants en LSF, mais très souvent il s’agit de personnes qui aiment vraiment communiquer. Les raisons pour démarrer une formation en LSF sont nombreuses et variées : elles peuvent être d’ordre personnel, professionnel voire un mix des deux.
Parmi les gens qui se forment à la LSF pour des raisons professionnelles, il y a beaucoup de travailleurs du secteur médico-social. Il peut également y avoir des personnes pour lesquelles l’impact de l’apprentissage de la LSF sur leur travail est réduit, néanmoins elles désirent quand même se former. Par exemple, des personnes qui travaillent dans la vente, le commerce, qui ont des clients sourds : ils ne représentent qu’une très petite partie de leur clientèle, mais ils ont tout de même envie de pouvoir communiquer avec eux.
Parmi mes stagiaires il y a régulièrement des retraités ou des personnes proches de la retraite qui se tournent assez naturellement vers des associations et rentrent alors en contact à ce moment là avec des sourds.
Il y a également des personnes qui font du théâtre, de la danse ou du chant et qui souhaitent développer avec la LSF leur expressivité et le langage du corps très présent en LSF.
Enfin nombreux sont les jeunes qui sont attirés par la LSF car elle leur permet un meilleur accès à leur sphère émotionnelle en particulier.
Un autre cas de figure parfois observé est l’arrivée d’une personne sourde dans une famille suite à des fiançailles voire un mariage. Apprendre la LSF est alors le seul moyen de pouvoir communiquer aisément avec le nouveau membre de la famille. Toutefois, les raisons familiales restent minoritaires : quand il s’agit de raisons personnelles qui poussent à se former à la LSF c’est plutôt de la curiosité, de la recherche d’épanouissement mais aussi de la volonté de se rapprocher des autres.
La pandémie et les confinements, surtout le premier, semblent avoir boosté la demande de formations en LSF. Êtes-vous d’accord ? Comment expliquez-vous cela ?
Absolument. Comme pour beaucoup de collègues, mon activité de travail s’est fortement accrue depuis mars 2020.
Probablement les gens ont eu plus de temps et plus d’envie de se former en général. Ils ont souvent choisi la Langue des Signes Française pour des raisons d’épanouissement personnel et une quête de sens générée par le contexte fragile et dramatique de la situation.
Quelles sont les principales idées reçues sur la Langue des Signes ?
Il y a parfois des personnes qui s’imaginent que les mots sont traduits en signes lettre par lettre en suivant l’ordre des mots d’une phrase à l’oral. C’est totalement faux ! Quasiment tous les mots ont un signe qui leur est propre, de plus quand on s’exprime en LSF qui est une langue visuo-gestuelle, les signes ont un ordre différent de celui des mots dans une phrase dite ou écrite. On appelle cela la “pensée visuelle”. C’est une langue riche, qui a de nombreuses spécificités linguistiques, à la fois assez intuitive à apprendre pour des échanges simples du quotidien (se présenter, poser des questions et pouvoir y répondre soi-même) et complexe à maîtriser parfaitement.
La langue de signes est une langue vivante : elle évolue et se modifie constamment. Quelles perspectives futures voyez-vous pour la LSF ?
J’espère avant tout que la Langue des Signes Française sera présente très tôt à l’école, pour le plus grand bonheur des enfants qui aiment beaucoup la pratiquer et pour une meilleure intégration des enfants sourds en milieu scolaire.
J’espère également que de plus en plus d’acteurs sourds ou d’acteurs entendants pratiquant la LSF seront présents dans les films et les séries.
J’espère que de plus en plus d’établissements privés et publics offriront un accueil digne de ce nom en LSF à leurs clients sourds ou malentendants.
Enfin, j’espère que les familles dans lesquelles un enfant naît sourd seront encore mieux accompagnées pour voir en cet enfant une très belle différence et non un handicap, et pour découvrir avec lui un monde à la fois très proche de nous mais aussi si riche dans ses différences.