Le niveau des Français en anglais
par Véronique Izambard
Selon le classement EF EPI 2021 des niveaux d’anglais par pays, la France se situe à la 31ème place des pays qui maîtrisent le mieux l’anglais dans le monde, juste derrière l’Argentine et devant Hong-Kong. Les Pays-Bas occupent la 1ère position.
Comment peut-on expliquer le niveau des Français en anglais ?
Voici nos conclusions, suite aux échanges avec des experts en pédagogie à l’université de Grenoble, enseignants chercheurs en anglais de spécialité.
La France se place en 31ème position du classement EPI de 2021 sur les niveaux d’anglais par pays, en relative progression par rapport aux années précédentes. Pourtant, l’enseignement n’a pas beaucoup évolué ces dernières années. Il y a eu une progression peut-être simplement parce que les adolescents et les jeunes adultes sont plus exposés à l’oral qu’avant, mais 31ème, cela reste assez bas. La difficulté reste dans le manque d’évolution des méthodes d’apprentissage et dans la manière de présenter la langue.
Il faut comme souvent s’intéresser à notre histoire. Premier aspect, en France, nous avons fondé l’enseignement de l’anglais sur l’écrit essentiellement pendant très longtemps. Cela reste un gros problème. Dans le secondaire, cela a évolué, à l’université, cela demeure extrêmement important. Et il est d’autant plus difficile à comprendre par rapport à des filières où les étudiants ont surtout besoin d’apprendre à s’exprimer oralement plutôt que par écrit. En France, on a une forte tradition d’un enseignement passant par la traduction. Très logiquement. Or on sait aujourd’hui que passer par l’acte de traduire ne fonctionne pas. Beaucoup de didacticiens l’ont prouvé.
Une autre fausse bonne idée par la suite a contribué à faire baisser le niveau des Français. Dans l’enseignement secondaire, depuis 20 ans environ, on a défendu l’idée que l’exposition à la langue était le meilleur moyen de la maîtriser et les consignes ministérielles ont été d’exposer les jeunes à la langue le plus possible. Or c’était une erreur. De toute façon, l’exposition n’a jamais été réelle, puisque l’enseignement de l’anglais ne dépasse pas 3 à 4 heures par semaine. Mais outre cela, on a supprimé tout ce qui concernait un apprentissage « systématisé » par les structures, une acquisition « explicite » de la grammaire, et la mémorisation de vocabulaire. Ainsi, pour les verbes irréguliers, le « cauchemar » des élèves, contrairement aux années 90 où on apprenait des listes de verbes irréguliers, on a cru par la suite qu’il suffirait de leur faire entendre les différences de sons entre le présent et le prétérit dans des phrases pour que les formes verbales soient mémorisées. Cela donne des étudiants qui, à 18 ans, ne connaissent pas les verbes irréguliers. Idem pour le vocabulaire. Aujourd’hui, les études et le recul ont prouvé qu’un apprentissage doit passer par cette acquisition explicite, puis par une exposition et une utilisation des structures et de la syntaxe pour être réellement efficace. Pour autant, le changement ne s’opère pas assez rapidement. On est passé d’un extrême à l’autre, d’un système où l’écrit supplante tout le reste, à une situation où rien n’est plus structuré dans l’apprentissage. La vérité serait probablement quelque part au milieu. En tous cas, l’imprégnation est insuffisante pour apprendre.
Cette petite progression enregistrée par le classement EPI est essentiellement liée aux grandes villes : Paris, Lyon, surtout des villes universitaires. L’enseignement de l’anglais se rapproche un peu de l’enseignement de l’orthographe. Il est question dans les deux cas de la manière dont on va appliquer à la maison ce qui a été appris à l’école. Plus il y aura de livres, de discussions autour des mots à la maison, plus l’apprentissage scolaire sera efficace. Contrairement aux mathématiques où on apprend des formules et on les applique, ce qui est relativement facile pour tout le monde, il y a une forme d’inégalité dans la manière dont on encourage l’apprentissage de l’anglais à la maison, ou de l’orthographe. Il y a des milieux sociaux où on est plus exposé à l’anglais, et là, le niveau est meilleur. Regarder des films en VO permet une réelle progression. Aujourd’hui le niveau de compréhension a globalement augmenté grâce au films et séries en VO, aux réseaux sociaux, plus généralement à la plus grande facilité de trouver des enregistrements vidéo ou audio en anglais. Il n’en demeure pas moins que les cours particuliers ou les séjours linguistiques restent réservés à une certaine classe sociale. On n’est pas exposé au même niveau à l’anglais dans toutes les classes sociales. La France d’en haut dispose de davantage de ressources pour propulser les enfants vers le haut, alors que pour la France d’en bas, les enfants ont moins de ressources et leur apprentissage repose plus essentiellement sur l’Éducation nationale. Non seulement c’est l’exposition à l’anglais qui joue un rôle, mais aussi l’intérêt qu’on y attache dans son milieu social.
Les Néerlandais ont le meilleur niveau d’anglais de la planète. Amsterdam, mais aussi l’ensemble du pays. Cela est forcément lié à l’ancienneté de la transmission de l’anglais aux Pays-Bas.
En France, on a commencé il y a à peu près 60 ans à généraliser l’enseignement de l’anglais à l’école. Mais l’approche reste très francisée, à cause de l’hégémonie du français, la volonté ancienne de préserver une culture forte à travers sa langue qui a eu tendance à dévaloriser les autres langues et notamment l’anglais. Contrairement à la France, les Pays-Bas ont une ancienneté dans l’enseignement de l’anglais. Leur intérêt pour les voyages remonte à très longtemps, de même que la conviction que c’est à eux d’apprendre une autre langue, car le néerlandais ne s’exporte pas. Alors qu’en France, on a vécu sur l’idée d’une langue française forte et langue de la diplomatie. Dès lors, plusieurs générations de Néerlandais pratiquent l’anglais couramment. De même, l’enseignement de l’anglais commence bien sûr très tôt à l’école. Il est de bon niveau, contrairement à la France, où l’enseignement de l’anglais en primaire n’offre pas toujours le meilleur modèle phonologique, alors que l’oral est important à cet âge-là. Beaucoup de Français, lorsqu’ils évoquent leur apprentissage scolaire de l’anglais, concluent en disant qu’ils sont « nuls en anglais » ; l’anglais passe pour une langue difficile, et reste peu intégré dans la pratique normale, contrairement aux Pays-Bas où la pratique de la langue est considérée comme naturelle.
Quant au niveau des étudiants à l’université aujourd’hui, il est variable en fonction des filières. On peut parler d’une grande hétérogénéité. De très bons niveaux (meilleurs qu’autrefois) car forte exposition à l’anglais par les réseaux ou les voyages, avec des étudiants qui mobilisent tous les outils à leur disposition pour pratiquer et ont un bon niveau, à l’oral surtout. Et des étudiants qui n’avaient pas le capital au départ et arrivent avec un niveau très problématique, même s’ils ont choisi un cursus langue à l’université ; ils ne connaissent pas les bases et leur niveau est très bas (plus bas qu’autrefois), surtout du point de vue de la pratique orale.
Pour ce qui concerne les étudiants ayant initié des études de langues (en anglais), il est fréquent qu’ils ne sachent pas construire une phrase en anglais, ou utiliser les verbes irréguliers en première année ; cela est la conséquence du dispositif de Parcours Sup qui les a conduits là par hasard la plupart du temps. Ceux-là ne passent généralement pas le cap de la deuxième année. Le choix de la filière se fait plus involontairement que volontairement avec Parcours Sup.
En revanche, il existe des filières qui sont des filières d’excellence pour l’anglais : les étudiants qui entreprennent un double diplôme, une double licence par exemple en économie et commerce international ont un niveau élevé. Des étudiants qui viennent de lycées européens ont un excellent niveau. Il y a des filières prestigieuses (grandes écoles, économie, finance). Tous ces étudiants-là pourront attester d’un excellent niveau général et en particulier en anglais. Le niveau d’anglais est finalement le reflet du niveau général. Un étudiant très bon en anglais montre qu’il sait déjà travailler et acquérir des connaissances. Il va réussir. Pour l’anglais c’est la même chose : pour atteindre un bon niveau, il faut un fort investissement et une bonne méthode de travail. Les étudiants qui s’inscrivent dans un double diplôme sont prêts à faire cet effort dans toutes les matières. Ils ont également de bonnes méthodes de travail.
Finalement, on s’aperçoit que ces filières qui donnent de bons résultats sont aussi des filières qui prépare à une spécificité professionnelle. Le fait d’avoir un objectif professionnel aide probablement les étudiants à structurer et améliorer leurs connaissances.
A Grenoble il existe des enseignements en anglais de spécialité. Par exemple, un étudiant va étudier l’économie et l’anglais adapté à l’économie, ou un étudiant en commerce international va poursuivre son cursus au sein de la filière langues étrangères appliquées ; tous deux ont de bonnes chances d’acquérir un bon niveau d’anglais, car les apprentissages linguistiques sont organisés autour du domaine spécialisé. Il s’agit d’enseigner l’anglais de manière différente et de l’appliquer à ce dont les étudiants pourront avoir besoin dans leur futur métier ; cela constitue une grande motivation pour eux. L’image de l’anglais en est transformée.
L’anglais de spécialité se développe particulièrement bien en France, car il correspond effectivement à un fort besoin. Auparavant, la seule filière d’anglais à l’université concernait l’anglais civilisationnel et culturel. Pour un étudiant en économie ou en finance, les études étaient rapidement démotivantes. Avec l’anglais de spécialité, les étudiants retrouvent leur motivation, et donnent du sens à leurs études, compte tenu de débouchés professionnels évidents.
Il demeure quelques obstacles pour les enseignants : dans le domaine institutionnel, le manque d’enseignants oblige à fonctionner dans des filières où les groupes sont mélangés : on peut trouver des juristes, économistes, etc. ensemble dans un groupe d’anglais. Cela ne facilite pas le travail de l’enseignant. Autre difficulté : le manque d’enseignants spécialisés dans la filière. La formation des enseignants d’anglais continue de passer par des filières traditionnelles, culture et littérature. Ce sont ces enseignants qui vont ensuite enseigner une spécialité professionnelle en se formant sur le tas et en essayant de comprendre ce dont les étudiants ont besoin. Ils s’investissent beaucoup car ils sont très intéressés, mais ils tâtonnent, à partir de zéro, ce qui complique beaucoup les choses pour eux et la qualité des cours. Une seule formation à l’anglais de spécialité est possible en France. Le dispositif est récent et des associations nationales s’organisent aujourd’hui pour structurer la formation.
Quoi qu’il en soit, on constate qu’aujourd’hui, les profils de poste sont très majoritairement dédiés à l’enseignement de l’anglais de spécialité. Ce qui montre l’intérêt de ce dispositif. C’est là que sont les besoins, les départements langue des universités connaissent ces besoins et les profils de poste sont créés par rapport à ces besoins. C’est une évolution très positive car on ne peut plus enseigner l’anglais général à des juristes, des économistes, etc. C’est motivant pour tout le monde : les enseignants sont contents de traiter les sujets qui intéressent les étudiants, et les étudiants qui ont un objectif professionnel sont contents de voir que les cours proposés leur sont utiles.
Cette forme d’enseignement permet aux étudiants de se réapproprier la langue, par le biais d’une spécialité correspondant aux besoins professionnels.
C’est par là que la progression des Français se concrétisera à l’avenir. Il faut que cela prenne plus d’ampleur et se démocratise.